Une journée magique chez Asafumi et Naomi Yamashita

A chaque fois que je voyais Asafumi Yamashita à la télé, ou que je lisais un article sur ce maraîcher d’exception, l’envie de le rencontre grandissait, en parallèle avec celle, bien évidemment, de goûter ses fameux légumes, mais je remettais toujours à plus tard. Un matin d’avril, j’ai enfin appelé, pris rendez-vous pour la première date disponible, à midi, et à partir de là, j’étais excitée comme une gosse à qui on a promis Disneyland.

Quand je vois, sur internet, un article dont le titre parle « du maraîcher le plus cher du monde », même si c’est sans doute le cas, c’est autant réducteur qu’inadapté, et si son auteur l’a rencontré, ce dont je ne suis pas sûre, ou alors trop vite, il ne l’a pas compris, ça, j’en suis sûre.

La Ferme Yamashita, indiquée par un petit panneau de bois, se trouve au fond d’un chemin, à Chapet, dans les Yvelines. J’y arrive un peu en avance, le lieu est très calme et depuis le matin une question revient « est-ce que mes papilles vont être capables de reconnaître l’exceptionnel ? est-ce qu’elles vont faire la différence avec les légumes (d’excellents maraîchers, je le précise) que je consomme habituellement ? », oui, c’est idiot mais si cela m’a turlupiné, je sais maintenant que je reconnaitrai ses légumes dans n’importe quel blind test. IN-COM-PA-RABLES .

L’homme arrive et vous accueille avec un grand sourire, chaleureux.

La journée commence par une visite des serres, au milieu des orties, envahies par la prêle « une mauvaise herbe, il y en a partout« , on est très loin des jardins japonais typiques, dessinés avec une précision chirurgicale, on est dans un lieu où la nature est vivante, prend toute la place. A droite le poulailler, à gauche des ruches installées récemment par un apiculteur bien inspiré.

Sous les serres : des tomates, nourries au goutte à goutte, « Normalement les maraîchers laissent 50 cm entre chaque pied, je laisse un mètre pour les petits, 1,50 pour les grands, pour que les racines profitent« , des melons, brocolis, carottes (les fameuses carottes de Kyoto), navets (ces navets…), salades, choux,  aubergines, soja (je n’avais jamais vu un pied de soja avant), etc.

Brocolis
Haricots, navets, oignons, maïs (un épi par pied, pas plus, pour qu’il soit bon)
Chou, pas une imperfection sur les feuilles, pas une trace d’insecte (ils vont voir ailleurs)

Nous sommes huit dont une journaliste et un cameraman de TF1. Si on vient le voir et l’interviewer du monde entier, il ne recherche pas de notoriété, il espère juste qu’il inspirera d’autres maraîchers, quelque part, ici ou ailleurs. J’ose quelques questions et les réponses, souvent une autre question ou proches d’une métaphore, sont toujours d’être à l’écoute de la nature, de ne rien brusquer, d’observer, de répondre aux désirs des légumes.

« Comment travaillez-vous la terre ? » « Travailler la terre, quelle horreur, qu’est ce que ça veut dire ? on ne travaille pas la terre, c’est elle qui nous donne« .

« Comment faites-vous pour obtenir un tel résultat ? » « J’écoute les légumes, ce sont eux qui me disent quoi faire ».

M. Yamashita explique qu’il ne travaille pas pour le fruit, pour le légume, mais pour la racine, imaginez quand le fruit est une racine, comme la carotte, le navet. Non ça, personne ne peut l’imaginer, voir plus bas.

Lorsque je demande à M. Yamashita un conseil concernant le pied de wasabi que j’ai acheté, un condiment racine, qui en a des communes avec lui, le Japon : « Comme on consomme la racine, que ça n’est pas visible, comment vais-je savoir le bon moment pour le déterrer ? »

« C’est lui qui va vous le dire, écoutez-le ». (On parle souvent de M. Yamashita comme de « l’homme qui murmure à l’oreille des légumes », c’est tout le contraire justement, il les écoute murmurer à son oreille.)

« Y a-t-il des stagiaires qui viennent apprendre auprès de vous » « Avant il y en avait mais j’ai arrêté, mes légumes n’aiment pas les stagiaires, ils étaient moins beaux » (si vous vouliez un stage…).

En désignant les poules « Est-ce qu’elles fournissent de l’engrais ? » « Oui, mais c’est pas pour ça, c’est parce que comme elles mangent mes légumes, elles doivent leur rendre quelque chose » (eeeuuh j’ai bien entendu, là, elles mangent KOUAAA les poules ?).

Ensuite, on passe à table, impatients de sentir, de goûter. Huit plats (accompagnés d’un excellent vin), vont se succéder. Qui mieux que Naomi Yashamita peut sublimer ces bijoux en leur offrant un écrin gustatif à la hauteur, avec le minimum d’ingrédients, parce qu’ici « less is more » prend tout son sens ?

Je demande à Asafumi si je peux publier un article sur le blog, je lui explique que je suis une blogueuse culinaire, pas publicitaire, il ne sera pas entre deux articles sponsorisés sur les fraises d’Espagne ou les pois chiche en conserve, et lui demande s’il souhaite relire l’article avant publication, il balaye la question d’un geste de la main en souriant.

Je lui laisse le nom du blog au cas où il veut y jeter un oeil.

Asafumi nous  explique qu’il n’y a qu’au Japon que les baguettes sont disposées ainsi « entre l’homme et le plat, parce que l’homme, pour se nourrir, doit franchir la limite entre lui et la nature« .

On le laisse choisir le vin car lui seul sait ce qu’il va nous servir. Ce sera un Bourgogne Aligoté, sélectionné par l’Astrance, un des trois restaurants « élus », qu’il fournit, qui soulignera discrètement les plats.

Feuilles de navet dans un bouillon dashi, bonite séchée
Navet, crème d’avocat au piment parfumé au yuzu.

Ces Navets (avec une majuscule), avec les carottes de Kyoto, sont sans doute les légumes dont on parle le plus. C’est justifié. Si on n’a aucun repère, aucune référence, même éloignée, de tous les mets dégustés ici, les navets sont encore plus exceptionnels. Imaginez croquer dans une nectarine qui commence à murir, ferme, fondante, juteuse, ajoutez à cela un parfum doux, avec du caractère en même temps, pas d’amertume, de piquant. Ces navets on a envie de croquer dedans, simplement, comme dans un fruit.

Chou « chinois » (au Japon on ne dit pas « chou chinois ») mayonnaise au miso

Une idée à reprendre la mayonnaise maison parfumée au miso, un joli exemple, facile, de fusion food.

Gelée d’agar agar, filaments d’oeuf, dés de carottes, crevettes, maïs

Je déteste le maïs, enfin les autres. Là, le grain est petit, fin, la peau très fine, la chair onctueuse, on croque et un jus parfumé,  sucré explose en bouche (et paf les poules, c’était le mien).

Tofu soyeux, saumon, champignons shiitake (c’est une caresse, un nuage) sur feuille de navet
Différentes salades, une multitude de saveurs, il y a toute la nature dans cette salade
Poulet (« d’un copain ») frit, sauce Umeboshi (des prunes en saumure macérées avec du sel et des feuilles de shiso), feuilles de shiso émincées.
Riz au beurre et sauce soja, bouillon miso, feuilles de navet

Ce riz au beurre, une gourmandise comme un dessert, la sauce soja est pile dosée pour que ça ait un léger goût de caramel sans aucun goût salé.

Gelée au thé matcha, feuilles de basilic

Un dessert frais et léger, à peine sucré, où la feuille de basilic n’est pas là pour le décor mais parce que le goût vient juste claquer comme il faut sur celui du thé matcha.

On termine le repas avec un thé (ou un café si on le souhaite), en discutant, Naomi  est venue nous rejoindre.

Elle m’explique qu’elle aide son mari pour récolter, avant de livrer les trois chefs élus, deux fois par semaine. Je lui demande « A part eux et vous, qui consomme aussi les légumes » , réponse « Eux, nous et les poules » les KOUAAA ????

Je lui demande si je peux avoir la recette de la gelée au thé matcha, elle me la donne gentiment en m’autorisant à la publier, ici.

La journaliste de TF1 (j’aurais du lui demander son prénom), nous demande ce qu’on a pensé de la journée, de l’expérience, la réponse est facile, on a  repris rendez-vous ensemble, les autres hôtes et moi, pour un dimanche de juillet, tout en se disant « et en septembre ?? il y aura quoi comme légumes », parce que le potager d’Asafumi Yamashita, c’est comme le jardin de Claude Monet à Giverny, chaque mois apporte une nouvelle palette, de saveurs pour l’un, de couleurs pour l’autre, mais toujours harmonieuse.

Je demande à Naomi si je peux acheter un navet, elle me dit qu’elle ne sait pas, que c’est son mari, qui décide.

Elle s’éclipse, revient une dizaine de minutes après,  met devant moi un navet dans un sac en me disant qu’il est pour moi. Je la remercie (je n’ai pas compté combien de fois) et lui demande combien je dois ? Rien.  Asafumi  me l’a donné. Tu imagines la joie d’Elizabeth Taylor quand Richard Burton lui a offert le Krupp, c’était rien du tout à côté de moi à ce moment là.

Mon bijou :

Au toucher, la peau est d’une douceur incroyablement soyeuse

Il est 16 h, on prend congé, à regret, on se fait la bise, ils nous remercient, mais non, c’est nous qui vous disons merci, Monsieur et Madame Yamashita, pour tout.

De retour chez moi, je suis allée observer le wasabi, un pied de tomate, je les ai déplacés.

Si tout le monde s’accorde sur l’excellence des légumes et le travail du maestro, aucun ne mentionne le fait que passer une journée à la Ferme Yamashita, c’est bien plus que parler de légumes, c’est faire une rencontre magique avec un vrai philosophe, de celles qui vous boostent bien au-delà du moment passé en sa compagnie, qui vous laissent un sourire aux lèvres des heures, des jours encore (j’ai une banane en rédigeant cet article !!!). Il y a un effet Yamashita, bénéfique, indescriptible.

Je crois que c’est parce que j’ai rencontré un homme heureux comme le sont ceux qui sont en connexion avec la nature, ceux, trop rares, qui vous donnent envie d’accrocher une majuscule à Humain.

Au fait, il reste une place dans le poulailler ?

8 Comments
    1. Michaël, s’il y en a bien un à qui j’ai pensé là-bas, c’est toi. Nous y avons rencontré un jeune couple franco-japonais, je leur ai donné les coordonnées de ton blog. C’est juste une évidence que tu y ailles.

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